Diyarbakır, Diyarbakır, Diyarbakır, morne plaine ! Faire du vélo pousse à cette manie des fixettes.  Une fin de chanson, un vers d’Horace ou le nom d’une ville. Elles font oublier l’effort des jambes et comme le chien qui suçote son os, elles peuvent nous durer plusieurs semaines. C’est donc non sans joie que nous accueillons Diyarbakir. Si la plaine qui l’entoure n’a en réalité rien de morne, nous sommes contents d’en sortir pour passer quelques jours en ville.

Entourée d’énormes murailles, les deuxièmes plus importantes du monde après celles chinoises selon le petit Futé, elle abrite des monuments intéressants : une vieille église syriaque orthodoxe de la Vierge Marie, la grande mosquée de Diyarbakir ancienne église de Saint Thomas. Moment émouvant lorsque du haut d’une des tours des murailles nous apercevons le Tıgre, fleuve de nos albums dessinés d’enfant, serpentant dans la plaine mésopotamienne. En termes de hammam, la cité n’est pas en reste. Moins somptueux que celui de Konya il fait néanmoins l’affaire pour la décrasse hebdomadaire, la nouveauté : un petit bain d’eau glacé qui revigore à merveille.

Le lendemain nous prenons le bus pour Mardin. A une poignée de kilomètres de la frontière syrienne, Mardin a déjà un pied dans le monde arabe. Construite sur un monticule en escalier dans cette pierre jaune qui fait penser à Jérusalem, on se perd dans ses ruelles, dans son souk et y découvre de petites églises et mosquées cachées. Moment étonnant à l’église syriaque orthodoxe des lorsque discutant avec l’Abouna de la cure nous découvrons que celui ci parle couramment l’araméen et ce, avec les membres de sa famille réunis pour le déjeuner. Entendre cette langue morte, langue du Christ parlée il y a deux milles ans, est émouvant. Au niveau des tonalités, cette langue semble très proche de l’arabe. Et d’ailleurs du point de vue de son écriture, elle y ressemble tout à fait. La suite de la journée se finit en dégustations dans des bars à vin. Apport culturel non négligeable des communautés chrétiennes de la ville, le vin tire cependant des grimaces et nous sentons plus que jamais l’éloignement de notre douce patrie.

De Diyarbakir nous rallions Batman. La plaine n’a plus rien à voir avec celle du Nord-Ouest de Diyarbakir. Composée d’interminables champs mouillés et austères sous un soleil gris on se croirait dans le Nord Pas de Calais au large de Berg et à quelques encablures de Dunkerque. Bref ce n’est pas folichon et nous avons hâte de retrouver du relief. Batman est une sorte de Las Vegas turque avec une fontaine démesurée en son centre et de grosses artères crachant des boutique de mocassins en faux cuirs et de Kebabs qui se la jouent grands restaurant. On y passe néanmoins un brin de soirée sympathique avec Yassine et Dani, deux cyclo-voyageurs rencontrés sur la route. lls nous font découvrir une spécialité qui nous avait jusqu’alors échappé : le Kunefe.

Le reste de la route jusqu’à Van est plus intéressant. Nous remontons dans la montagne et via des petites routes sautons de vallées en vallées jusqu’à Ziyaret. Un épisode touchant a lieu un midi de pluie. C’était le lendemain du triste incendie de Notre Dame de Paris que nous avons appris avec douleur depuis Batman. Les raccourcis sont rapides dans les esprits énervés et blessés et Notre Dame, pour ma part, avait remué quelques mauvais sentiments. La chanson de Roland flottait dans l’air et j’enfourche mon vélo avec la forte envie de plonger sur Roncevaux. Ce midi là, nous avons pénétré dans un petiıt village paysan très pauvre, cherchant un abris pour pique niquer. En quelques minutes le couvert était mis, tout le village s’est réveillé pour nous asseoir, nous réchauffer et nous servir a manger. Une grosse quinzaine de personnes au petit soin pendant une demi heure, nous reversant du Cay a gogo et presque à nous essuyer le coin de la bouche au bavoir. Ils nous ont montré les images de Notre Dame en feu et leur visage m’a semblé exprimer une réelle compassion. Ils nous ont sans gène rappelé qu’ils étaient musulmans et que entre chrétiens et musulmans : Problem Yoc. Ainsi à coup de fromages frais, d’oeufs brouillés à la saucisse et de franches rigolades ils nous ont consolé de la perte de notre cathédrale.

Tatvan marque l’arrivée sur les bords du grand lac de Van. Deuxième plus grand lac du Moyen Orient après les deuxièmes plus grandes murailles de Diyarbakir, nous sommes un peu las de cette nouvelle deuxième place. Nous échouons dans un hôtel en face d’un Hammam. Le massage est décevant, trop rapide sur les finitions du dos, trop lourdau sur les cuisses, trop maniaque sur les doigts de pieds.

Le bateau que nous prenons pour rallier Van sert au transfert du fret ferroviaire. Des wagons de trains sont parqués dans la cale avant d’être tirés par la locomotive de l’autre côté du lac. C’est un navire fantôme où nous sommes pratiquement les seuls passagers. Le lac est immense et encadré par des montagnes aux sommets enneigés. Van apparaît alors après 4 heures et demi de trajet entre les montagnes et les nuages. Avec ses maisons colorées au pieds de l’eau et les montagnes derrière, elle correspond à l’idée que je me fais de ces villes de pêcheur sur les bords de l’Ontario au Canada.

Mais cela n’implique que mon imaginaire et n’engage en rien mes camarades de voyage qui d’ailleurs sont peut-être, eux, déjà allé au Canada.

L’Iran est maintenant à une journée et demi de pédales. Il est temps de faire nos adieux à la Turquie.

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