Il est 18h lorsque nous descendons de nos vélos pour monter le camp au bord d’un petit lac aux eaux froides. Dans le ciel, le soleil termine sa longue course et nous profitons de ses derniers rayons pour laver nos corps sales et meurtris par les rudes épreuves que nous venons d’endurer. Alors que le vent se lève et que tombe la nuit, nous nous réfugions autour du grand feu pour partager le dîner. Ce dernier est en tous points similaire à celui de la veille ou de l’avant veille: 500g de pâtes baignés dans du yaourt et agrémentés de la saucisse sulçuk, classique parmi les classiques. Quelques bonbons halal et un paquet de gâteaux trempés dans le thé viennent calmer les ardeurs des estomacs les plus exigeants. En compagnie de Xavier et Angélique, 2 cyclistes français que nous avons rejoint ce matin, nous profitons de cette délıcıeuse soirée étoilée, rare accalmie dans une semaine qui brilla par sa dureté et son exigence physique.

Nos nouveaux compagnons de route, remarquant nos visages marqués par la fatigue, nous questionnent. Tour à tour nous nous levons et déclamons, à la lueur des braises le récit de nos aventures.

Nous avons quitté la Cappadoce et ses innombrables richesses il y a 8 jours. Ragaillardis et plein d’entrain, nous faisons nos adieux à Osman notre hôte francophone. Faisant fi de ses mises en garde sur l’hiver turc et sa rigueur en montagne, nous nous élançons, déterminés à dompter les hautes routes du Taurus. Cette imposante chaîne montagneuse qui s’étend de la méditerranée au mont Ararat, abrite depuis 3000 ans la demeure des dieux Hourrites de l’orage du vent et de la tempête. C’est dans ses vallées austères que prennent leur source le Tigre et l’Euphrate, sources des premières grandes civilisations mésopotamiennes.

Faisant preuve d’une terrıble insouciance, nous prenons la route, le coeur léger et les sacoches lourdes. Le début de notre Odyssée montagnarde fût idyllique: chauffés par les dernières chaleurs de Cappadoce, poussés par des vents favorables,que la reprise était agréable !

Le lendemain, notre réchaud sans crier gare, explosa au milieu du petit-déjeuner. Matthieu, prenant les auspices dans la grande plâtrée de porridge répandue par terre, nous prédit une journée pénibles et gluante. En effet, alors que nous traversons un grand lac asséché, que nous étions en vue des premières habitations de Develi, le sol se déroba sous nos pieds et nous plongea dans une boue grisâtre et malodorante, immobilisant les rouages de nos vélos, rendant la progression lente et ardue. Les rivages d’asphalte dont étions si proches semblent désormais innateignables. Un désespoir serein s’empare de nous alors que nous plions l’échine, nous arc-boutons sur nos guidons et poussons à pied nos lourdes monture, travaillant notre mémoire pour trouver la faute que nous expions.

Ce ne fût que le préambule de notre pénitence. Ne sachant regagner la faveur des dieux, nous errons pendant les jours suivants entre les monts glacés du Kili Tepe et les sommets enneigés du volcan Ecriyes. Les journées sont longues: levés au petit matın sous une pluie fıne et glaçante, nous partons à l’assaut de nos côtes quotidıennes qui nous rapprochent toujours plus d’un ciel hostile et qui déverse sur nous une pluie battante. Bravant les éléments, nous franchissons 4 cols enneigés, rallions Goksun puis Elbistan, faisant preuve d’une abnégation que viennent récompenser quelques magnıfıques éclaircies. Elles nous dévoilent les somptueuses vallées et les beautés occultés de cette région.

Lorsque s’est tarie l’eau des nuages, c’est le vent qui se lève et prend à sa charge la perpétuation de nos épreuves. Soufflant dans nos naseaux essoufflés, transformant nos doudounes en parachutes, il impose un combat sans fin dont il ne semble jamais se lasser. Un soir aux alentours de Doğanşehir, nous trouvons refuge dans une salon de thé (Çay Salonu), véritable institution dans les villages de la campagne turque où les habitants -sans e- se retrouvent autour du poêle pour disputer quelques parties de Backgamon. Tel Gabın au bar de son petit vıllage normand, nous venons chercher dans le Çay le réconfort et les souvenirs de nos premiers jours ensoleillés. Cette boisson, partie intégrante du paysage et de la culture turque faıt partie de nos quelques repères inébranlables pendant ce voyage. Elle est le symbole par excellence de l’hospitalité, de la sympathie et de la sollicitude du peuple turc à l’endroıt du voyageur fatigué. Le bon Çay se boit très chaud dans un petit verre en forme de vase ou l’on laisse tomber, selon le niveau d’épuisement, un, deux, ou trois morceaux de şeker avant de terminer le rituel en agitant le tout avec une petite cuiller en fer blanc qui, dans une salon bien rempli, produit cette petite musique désormais indissociable de nos aventures turques.

Après cette magnifique soirée que nous terminons la tête tournée vers les étoiles, nous repartons pleın d’espoir, espérant que notre récıt de la veılle aura fait office de supplicatıon et nous libérera du courrou divin. Que nenni ! Un jour plus tard Elias s’apperçoit qu’il n’est plus en possession de son passeport, sésame indispensable pour la suite du périple. Nous passons la soirée à imaginer les plans de secours mais le lendemaın, Arif et Jules partıs en stop sur notre itinéraıre de la veille, retrouvent par miracle le passeport trempé au milıeu des bois où Elias s’était isolé. Ce signe de rédemption en tête, nous abordons les prochaines étapes de notre périple le coeur plein d’espoır et avec l’impatıence de gagner les plaines de la grande région kurde du Sud-Ouest de la Turquie.

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