Cette brève est peut-être la plus importante du corpus que nous vous proposons. Non sans fierté, nous avons inscrit au code du kébab turc un nouvel arrêt fracassant, revirement de jurisprudence décisif pour le bon touriste européen, qui nous espérons, servira aux générations futures de jeunes gens amateurs de dürüm. C’était une après-midi comme les autres dans la petite bourgade d’Avanos en Cappadoce. Nous venions de saluer notre ami Osman Ditler de l’agence de voyage Kirkit quand notre estomac cria famine. C’est alors qu’un kébab, beau et bien fait, fit du pied à nos vélos. Non bouiboui par ses nappes trop propres et non restaurant par son humeur trop grasse de kébab, il appartenait à cette catégorie trouble d’établissement qui prétende élever au met culinaire la broche de kébab traditionnellement populaire. Bref, une zone grise de prix se dessinait sans que nous y fassions attention. Naïf et confiant, Arif commande, à l’envolée, quatre dürüms sans demander le prix. Ribambelles de salades et amuses gueules se succèdent et quatre grandes assiettes de viande débarquent, ça ne ressemble pas trop à un dürüm mais la faim est trop grande, nous engloutissons !

Ce qui nous pendait au nez arriva : l’homme à la broche, chauve moustachu selon la plus noble tradition turque nous demande un prix exorbitant. Pour vous donner une idée, Monsieur le juge, cela était de l’ordre d’une nuit d’hôtel pour quatre à Konya pour quatre malheureux kébab. La farce parait grotesque et nous prenons l’affaire d’abord à la rigolade. Le prix baisse un peu mais tout en restant disproportionné. Pour notre défense, nous réclamons le menu avec les prix, menu qui, sans surprise, n’existe pas. La pression monte. L’homme à la broche gesticule avec son grand couteau à kébab et fait un geste éloquent à Matthieu pour le prier de la fermer. Nous ne démordons pas. Ils menacent d’appeler la police. Drapés dans toute la superbe du touriste arnaqué et conscient de la symbolique du geste, nous leur rétorquons : « So call the police ». Nous sommes dans notre bon droit et s’il existe encore une justice dans ce pays elle rendra grâce à l’honnête homme mangeur de kébab. Nous n’en menons pas large. Un choc de civilisation est entrain de se nouer autour de quatre dürüms et l’honneur français est en jeu, il va falloir la jouer fine.

La voiture de police municipale arrive tout feu battant. Déjà un petit attroupement de curieux s’est formé autour du restaurant et des groupes se forment. Un traducteur anglais nous aide à communiquer avec l’officier de police. Ce dernier, peu convaincu, appelle en renfort deux autres de ses collègues.

Notre argumentaire porte sur l’absence de menu. Similairement à la France, avoir les prix affichés quelque part est surement une obligation légale pour les restaurants turcs. Nous avons visé juste. Le policier nous propose d’aller porter plainte au poste de police. Grands seigneurs, nous expliquons que nous désirons seulement payer le juste prix. « Votre prix sera le sien ».

Nous ré enfourchons nos vélos la tête haute, l’honneur a été sauf et la bourse ménagée par la même occasion. C’est un premier succès à la barre qui remplit de joie Matthieu qui prétend à la robe d’avocat plus tard. Il n’y a pas de petites affaires judiciaires, il faut bien commencer quelque part, même dans les tréfonds bien gras d’un bon kébab turc.

Enfin, cette affaire a aussi eu la vertu de l’arrêt : « en absence de menu, le client pourra imposer son prix et si besoin recourir aux forces de l’ordre pour le faire exécuter ». Cela nous servira pour le reste du voyage. Attention cependant à ne pas en abuser.

*Un dürüm est un sandwich de viande d’agneau ou de poulet grillée roulé en wrap et servis partout en Turquie pour des prix variant entre 4 TL et 15 TL en fonction de la taille (Soit 0.60€ et 2.50 €)

One comment on “De la jurisprudence du kebab turc

  1. Malheureusement vous etes tombes sur un arnaqueur. Et il y en a en Turquie:(.
    Mais le prix d un dürüm peu monter jusqu a 10 euros.
    Et vous ne partagez pas le prix qu il a demande mais seulement votre propre conclusion.
    Ce qui est aussi suspect que de ne pas avoir de liste de prix.

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