« A l’homme à vélo importent peu les subtilités de lavabos ». Toute grande tribu guerrière a des maximes qu’elle élève en règle de vie. Les cavaliers Huns du terrible Attila dormaient sur leur selle et y dévoraient leur viande crue sans jamais quitter leur monture. De même, nous ne quittons jamais nos vélos ne serait ce que pour un bon bain chaud. Devenir nomade revient à faire des sacrifices hygiéniques : briser le roulement infini des douches quotidiennes, dire adieu au doux ron ron du pommeau de douche qui rythme la journée du sédentaire. Par cette nouvelle liberté recouvrée, je renoue avec mon être profond, avec cette odeur des origines que j’avais oubliée, cette crasse sublime qui tient chaud et effraie l’ennemi.

Néanmoins il y a des limites. Et bien que reconnaitre son coéquipier en battant de la narine est pratique, à la longue cela peut être gênant, surtout dans une tente où l’on dort à quatre. D’où cette invention turque du Hammam. Ce haut lieu de purification du corps est une aubaine pour le voyageur à vélo qui peut optimiser ses lavages mensuels.

Le Hammam se compose de deux parties : 
– Le monde du dessus, au rez-de-chaussée, il se compose de petites cabines de bois en arc de cercle où on se déshabille et se noue un tissu autour de la taille, il y a aussi des banquettes où on peut papoter en buvant un Cay; 
– Le monde du dessous, au sous-sol, dans un épais nuage de vapeur, il se compose d’une grande salle avec au centre une grande pierre brulante et autour des petites alcôves aux robinets ouverts, des saunas, un bain d’eau glacé.

La chanson est toujours la même. Avec cette impression bizarre de pénétrer dans une réalité parallèle, on descend timide et tâtonnant comme si on entrait dans ces salons d’opium du Lotus Bleu. On tombe sur les êtres étranges du dessous, hommes à la bedaine pendante et à la moustache mouillée, imbibés de vapeur d’eau et sentant bon le savon. Découvrir quatre petits européens pudiques et maigrichons les réveillent de leur torpeur et ils nous prennent en charge. Se faisant un devoir de nous montrer l’illustre tradition des bains turques, ils nous aspergent de grands sceaux d’eau, font chauffer les pierres du sauna, proposent de nous raser, de nous pouponner, de nous laver. C’est la proximité masculine des termes antiques et nous commençons à comprendre la triste fin de la civilisation grecque.

Vient l’heure du massage. Habituellement les préjugés sont faits pour être démentis, il n’en n’est rien pour le massage turc. A moins que les masseurs eux même conscients de l’importance d’un préjugé à conserver se soient donné le mot, chaque massage que nous avons essuyé s’accordait et surpassait l’image d’Epinal donnée par le film OSS 117. Cela débute assez classiquement les pouces enfoncées dans le gras du dos afin d’endormir le jeune européen naïf, allongé sur le tabernacle de marbre gris, s’offrant en sacrifice. Autour les copains s’assemblent, regardent, font des remarques et compatissent. Par délicatesse du masseur, la douleur est crescendo. Le tournant est quand de tout le poids de son ventre, élevé au rang d’outil de travail, le turc s’écrase sur nos jambes pliées jusqu’à les entendre craquer. Les grosses tapes entre les omoplates rappellent régulièrement qui est le maitre et on crie docilement. Nous sommes sa chose pendant une bonne demi-heure et endurons tout. Il nous récure au gant de crin, nous triture les cheveux, nous chatouille les doigts de pieds et ce avec un plaisir évident.

A la sortie du hammam, un nouvel homme est né. Quittant notre croute de saleté dument entretenue depuis des semaines, nous sommes quittes pour le mois à venir.

En soin complémentaire et ponctuel, il y a le barbier turc. Même si le terme de barbe est bien généreux pour certains membres du groupe, nous en avons tous fait l’expérience. Installé comme un coq en pâte, le bavoir au cou, on se laisse une fois de plus faire par la douceur masculine turque. Il nous rase à la lame et à l’aide de ses grosses mains et différentes lotions nous tonifie la face. La cerise sur le baklava est lorsque d’une main sûre il nous brule les poils d’oreille au briquet.

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