« Chaque pèlerin confie ses chagrins et ses peines à son ange gardien, nous, c’est le Mohtar. Légalement, le « Mohtar » désigne les chefs de village, les maires des innombrables petites communes turques de la campagne anatolienne.
C’est notre ami Osman Ditler de l’agence de voyage Kirkit d’Avanos en Cappadoce qui, avant de partir, nous a confié le précieux sésame. A mi-voix, dans un souffle, il nous livrait le mot de passe de la caverne d’Ali Baba ottomane, des greniers à Sucuk, des caves à fromage et des tonneaux d’Ayran qui allaient nous ravir le restant du voyage.
Choisissez un village de taille moyenne, ni trop gros, ni trop maigre. Signes distinctifs qui permettent d’arrêter le choix : une mosquée à deux minarets pas trop rutilants, un salon de çay un peu crasseux et un unique petit market. Demandez au premier passant venu la maison du Mohtar. Facile à repérer c’est souvent la plus imposante du village. Tout se joue ensuite sur la palabre. Placer habilement ses trois mots de turc et les recycler si besoin, mimer l’homme cuisinant puis l’homme mangeant et enfin l’homme dormant. L’hospitalité légendaire du turc est réelle mais pas forcément spontanée, il faut la provoquer gentiment. A force de singeries et de grands sourires, on obtient gain de cause. Arriver tremper et transi par une journée de route sous la pluie facilite aussi les choses.
Un coin chaud dans un salon de thé avec toute la smala locale jouant aux cartes ou bien la pension complète chez le Mohtar lui-même, la Providence décide. La contrepartie reste assez dérisoire : conversation laborieuse à coup de traducteur Google, longue veillée au çay, petit-déjeuner à rallonge avec ses hôtes quand la route attend.
L’appel du Mohtar en fin de journée est notre petit trésor, le privilège infime du cyclo touriste recherchant la belle rencontre et un poêle chaud pour sécher ses guenilles. Le secret est maintenant dévoilé. Amis voyageurs, faites-en bon usage. »
