Alex Wicks de Karzo (ex-Kargo Myanmar) 

Une solution pour un problème de logistique à l’échelle nationale

Nous avons rencontré Alex dans son bureau près de la gare centrale de Yangon, dans un bâtiment très moderne. Il a pris le temps de nous recevoir et de nous expliquer comment il a réussi à créer Karzo et ce qu’il compte faire pour que son entreprise devienne une future licorne au Myanmar.

  • Pouvez-vous nous en dire plus sur vous et comment cela a commencé ?

Je suis originaire de Sydney mais j’ai vécu à travers le monde en suivant ma petite amie. J’ai d’ailleurs vécu en France pendant quelques mois, puis au Vietnam et enfin à Yangon. Comme je déménageais souvent, j’avais besoin d’un travail qui pouvait être effectué par internet, alors j’ai travaillé sur du développement web et du référencement (SEO). Quand je suis arrivé à Yangon, j’ai vite compris qu’il y avait un vrai problème de logistique, et que c’était une grande difficulté pour les multinationales. Une multinationale a même dû acheter des camions pour sa propre logistique, chose qu’elle ne fait jamais normalement mais le système est si mauvais qu’elle n’avait pas d’autres choix.

  • Avez-vous fait une étude de marché et comment avez-vous réussi à vendre votre produit au début ?

Au tout début, j’ai essayé de faire du transport pour particuliers, mais je suis vite passé aux services B2B. Je savais que certaines entreprises avaient ce problème que je pourrais résoudre avec Karzo. Je n’avais pas besoin de vendre mon produit car les clients étaient déjà là, prêts à ce que Karzo prenne en charge leurs problèmes. Pour les chauffeurs, c’était plus difficile. J’ai en effet essayé d’engager mes premiers chauffeurs sans avoir de clients, mais ils se sont moqués de moi : « Vous n’avez pas de contrats, revenez me voir quznd vous en aurez ». C’était le serpent qui se mord la queue, mais peu à peu, j’ai réussi à attirer des gens des deux côtés de l’équation et à obtenir mes premiers contrats. 

  • Comment gérez-vous un ordre de livraison ?

Au Myanmar, tout passe par Viber, Facebook et Whatsapp. Il y a des groupes pour tout, mes chauffeurs sont sur un groupe Viber. Donc quand une commande arrive, elle passe par mes équipes qui gèrent le contrat et trouvent des chauffeurs. On les contacte alors sur Viber et ensuite par téléphone pour leur expliquer les spécificités du contrat. Ce sont des sortes de freelances qui travaillent pour moi dans le cadre de contrats définis.

  • Quel est le cadre juridique de Karzo ?

J’ai une société enregistrée à Singapour, qui est la holding d’une société opérationnelle au Myanmar. C’est ainsi que cela fonctionne ici, et c’est particulièrement important pour pouvoir être financé par des fonds de Venture et des business angels. Ils ne peuvent pas vous financer si votre entreprise est hébergée au Myanmar. 

  • Comment travaillez-vous encore sur votre image de marque ?

Dernièrement, j’ai eu un problème car de nouvelles marques se sont créées avec mon nom dans d’autres pays. Certaines personnes m’ont alors demandé si c’était moi qui étais derrière ces marques ou encore si je travaillais en Indonésie. Je n’avais pas pensé à ce problème avant, alors j’ai fait d’une pierre deux coups en donnant à ma marque une identité internationale tout en changeant mon nom pour me distinguer des autres entreprises. Maintenant, j’ai fait toute les formalités pour m’assurer que ma marque est protégée. Mais j’ai dû parler avec mes clients pour leur assurer que nos services n’allaient pas changer. Finalement, nous avons voulu conserver la même identité, donc nous avons gardé le mot Kargo et y avons changé une lettre, c’est ainsi que nous sommes devenus Karzo. 

  • Avez-vous un conseil à donner à un futur entrepreneur qui voudrait monter son entreprise au Myanmar ?

La patience est plus qu’un simple mot au Myanmar. C’est un pays avec de nombreux retards à rattraper, cela implique beaucoup d’opportunités, mais vous ne pouvez pas vous permettre d’être impatient ici. Tout prend plus de temps qu’ailleurs. Il y a beaucoup à faire, surtout pour former les gens à notre vision du travail.

  • Avez-vous des petites anecdotes à nous raconter causées par la différence culturelle avec le Myanmar ?

Oui signifie non. Quand certains employés disent oui, ce n’est pas une certitude qu’ils aient compris ce que vous vouliez dire. Vous devez leur faire répeter ce qui doit être fait, pour vous assurer que tout a bien été compris. C’est un vrai problème et j’y travaille en les formant, en faisant notamment des ateliers sur ces points.

De plus, j’ai aussi organisé des rencontres avec les chauffeurs parce que je pensais que ce serait bien si mes employés pouvaient leur parler. Mais il n’y avait pas d’interaction dans l’atelier et chacun restait avec ses amis. 

J’ai également dû gérer la communication parce que les gens ne voulaient pas me parler des problèmes qu’ils rencontraient. Comme je suis le patron, mes employés ne veulent pas me déranger avec les problèmes auxquels ils font face, je les apprends donc parfois trop tard pour pouvoir les régler. 

  • Y a-t-il un caractère cyclique dans votre secteur d’activité ?

Je dirais que oui. Pour ce qui est de l’analyse de nos chiffres et de notre croissance, nous comparons les périodes d’avril à août entre elles et de septembre à mars entre elles. Car en avril, le pays est ralenti par la fête de Thingyan qui est le nouvel an bouddhiste et qui célèbre aussi le début de la saison des pluies. Et la saison des pluies est plus compliquée car elle est très lourde ici. Mon objectif est de croître pendant la saison sèche et de stagner pendant la saison des pluies.

  • Quelles sont les prochaines étapes de Karzo ?

Après un premier tour de seed et un second tour de pré-série A, je prépare maintenant mon troisième tour de financement. Le fond Cocoon qui est entré au capital de Karzo au dernier tour de financement m’a beaucoup aidé dans ma vision strategique de l’entreprise. Ils sont très disponibles et je passe beaucoup de temps avec eux.

Je veux aussi prendre du recul par rapport au quotidien opérationnel. J’ai engagé de nouvelles personnes et je passe maintenant beaucoup de temps à rencontrer des investisseurs pour ce nouveau tour. Je participe également à de nombreux événements qui m’aident à développer une vision claire de mon entreprise en en parlant.

Les fonds de ce prochain tour m’aideront à créer une véritable plate-forme informatique qui automatisera entièrement certains processus. Mon entreprise a de nombreux processus, donc pour atteindre une autre échelle, je dois les automatiser. 

Un autre objectif de l’année 2020 est d’atteindre le seuil de rentabilité à la fin de l’année. Cela va être un vrai défi car nous investissons beaucoup d’argent dans le développement de l’entreprise, mais je suis sûr que nous atteindrons cet objectif.

  • Est-ce que vous avez des contrats de livraison transfrontaliers ?

Pas pour l’instant, nous sommes encore une jeune entreprise et il y a beaucoup à faire au Myanmar. Je suis donc très concentré sur le pays pour l’instant, mais je suis sûr que Karzo le fera un jour. Il y a un réel appétit pour cela de la part des clients et la conjoncture est favorable : L’Inde veut pouvoir atteindre le Mékong facilement tandis que la Chine veut créer sa route de la soie. Le Myanmar est sur la voie de ces deux projets, ce sera donc une opportunité de croissance pour nous.

  • Il est très coûteux d’acheter un camion pour les Birmans, comment pouvez-vous développer ce réseau de chauffeurs ?

Oui, c’est le projet d’une vie d’acheter un camion au Myanmar. Vous économisez jusqu’à ce que vous puissiez en acheter un et ensuite vous économisez assez d’argent pour en acheter un autre et vous faites venir votre famille à bord pour en avoir de plus en plus.

Je pense qu’on peut identifier trois échelles dans les propriétaires de camions: 

  • celui qui possède un ou deux camions et qui est un indépendant.
  • celui qui possède une vingtaine de camions, c’est souvent le cas des entreprises familiales
  • et celui qui possède environ trois cents camions. Je pense qu’il y a environ vingt types dans tout le pays qui font partie de cette catégorie. D’ailleurs, ils sont souvent spécialisés dans une région. C’est avec eux que j’essaie d’entrer en contact et d’établir des partenariats.

Enfin, nous sommes aussi une bénédiction pour les banques parce que nous essayons de créer une vraie base de données avec tous les conducteurs qui passent par nous. Cela aide la banque à accorder des prêts aux personnes qui sont dans notre base de donnée et qui veulent acheter des camions, en nous utilisant comme une sorte d’assurance.

N’hésitez pas à aller faire un tour sur son site internet : https://karzo.com/

Si vous voulez en apprendre plus sur l’entrepreneuriat Birman, vous pouvez aussi aller faire un tour sur nos autres interview comme Sully Bholat de Flexible Pass (https://rocketbike.org/flexible-pass-sully-bholat/) ou Julie Garnier de Lilla (https://rocketbike.org/julie-garnier-lilla/)

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