Nous avons rencontré Julie qui est la créatrice de la marque Lilla à Yangon. Depuis 4 ans, Julie est installée dans la ville, et depuis 2 ans elle conçoit, produit et vend des vêtements au Myanmar. Voici l’histoire de son aventure.

  • Comment es-tu arrivée au Myanmar? Pourquoi Yangon particulièrement?

Après avoir vécu un peu à Hong Kong et à Hanoi dans le cadre de mes études, nous étions en voyage en Asie du Sud Est avec mon compagnon. Après 1 mois en Thailande, nous avions continué notre périple au Myanmar, et au lieu de poursuivre notre voyage à travers l’Asie du Sud Est comme prévu, nous sommes restés à Yangon. Notre étape de quelques jours dure donc depuis 4 ans. Ce qui nous a séduit particulièrement dans cette ville c’est sa dimension humaine: les sourires des passants dans la rue, la facilité à entrer en contact avec un inconnu et l’authenticité de la vie locale nous ont particulièrement touché. En plus de cette authenticité, Yangon est une ville qui s’ouvre sur le monde à une vitesse folle, ce qui créé de nombreuses opportunités. 

  • Comment est arrivé Lilla dans cette vie de voyages et d’aventures?

Nous avions donc décidé de nous installer à Yangon et nous avons trouvé tout les deux un travail très rapidement. Mon premier travail a été pour une ONG, ça a été une période difficile car ne connaissant pas la ville nous nous étions installés loin du centre dans un appartement avec peu de lumière. Peu épanouie par mes missions dans l’ONG, j’en étais presque au point de rentrer en France. J’ai donc terminé ma mission et démissionné pour trouver un travail qui me correspondait plus. Je suis devenu institutrice ce qui me laissait plus de temps et d’énergie en dehors de mon travail. En rentrant le soir je prenais donc du temps pour ma passion: me créer des vêtements. Les tissus Birmans sont d’une richesse incroyable et m’ont beaucoup inspirés. Dès lors je me suis découvert une créativité sans pareil, qui était challengée par tous les tissus qui m’entouraient. Dès que je voyais un tissu au marché pour lequel j’avais un coup de coeur, je l’achètais et le transformais en robe le soir en rentrant du travail. Voilà comment est né Lilla.

  • C’était donc une passion, mais comment est-ce devenu une marque ?

Au début il s’agit donc simplement d’une passion que j’exerce sur mon temps libre, mais au fur et à mesure que je me constitue une garde robe, mes amis me demandent où j’avais acheté ces robes et comment se les procurer. J’ai donc commencé à faire des habits sur mesure pour des amis, toujours sur mon temps libre. Puis, les amis de mes amis en voulait et à force de bouche à oreille, j’ai dû me mettre à mi-temps puis à plein temps sur Lilla pour répondre à la demande.

  • Comment expliques-tu que le bouche à oreille ait si bien fonctionné? Qu’est-ce qui rends tes habits unique à Yangon?

Tout d’abord le bouche à oreille a très bien fonctionné car mes amies ont beaucoup de difficultés à s’habiller sur Yangon. Les multinationales du textiles sont très peu présentes, et il n’existe que quelques boutiques indépendantes. Le choix était donc limité. De plus, comme j’utilise des motifs d’ethnies Birmane, les locaux savent automatiquement que c’est fabriqué ici, ça auquel on peut ajouter la qualité des vêtements: j’ai tout de suite trouvé une clientèle pour mes produits.

  • Quelle est la chaine de production de tes produits et comment t’assures-tu de la qualité environnementale et responsable que ta marque prône?

Au début, je produisais moi même mes vêtements, puis j’ai commencé à travailler avec une autre couturière birmane. Comme j’avais de plus en plus de volume et qu’elle arrivait à suivre cette demande; j’ai tout de suite compris qu’elle faisait travailler d’autres personnes. J’ai voulu en savoir plus sur ces personnes ainsi que leur rémunération, car si je la paye bien, je ne peux pas m’assurer qu’elle redistribue des salaires décents, ni qu’elle ne fait pas travailler des enfants. Je veux vraiment maîtriser de A à Z l’impact de toute la chaîne de production de mes vêtements.  Ainsi et par manque de transparence de sa part, j’ai dû arrêter de travailler avec elle. 

Je suis la seule employée de Lilla, même si je me suis associée avec une autre birmane; il m’était donc impossible de retracer l’intégralité de chaîne des matériaux par moi même. Ainsi pour m’assurer de la provenance des tissu, et de la qualité et l’éthique des travailleurs que j’emploie: je passe maintenant par une ONG. Je dessine les produits et choisi les tissus/matières puis je les fais faire par l’ONG qui s’assure qu’en amont la chaîne de production est conforme à mes valeurs.

  • Peux-tu nous partager ton expérience managériale en Birmanie, qu’en as tu appris?

Je suis des cours en ligne pour devenir meilleur manager, et le constat est que ce qui est applicable en France ou en Europe ne l’est pas ici au Myanmar. L’une des raisons est un manque d’accès à l’éducation flagrant. En effet, pendant les années de fermeture du pays, les universités ont été fermées. Ainsi le rapport au travail est très différent de celui que peut avoir un Européen. Un manager doit donc porter une attention spéciale aux détails dans les missions qu’il confie afin d’éviter toute incompréhension. La rigueur n’est pas la même, j’ai pu commander des tissus et les recevoir en me rendant compte qu’il manquait plusieurs centimètres. C’est ce que j’appellerais du micro-management: je dois vraiment encadrer de près les personnes avec qui je travaille afin d’avoir le résultat que j’attends pour ma marque.

  • Aurais-tu un conseil à donner aux personnes qui veulent se lancer dans le milieu entrepreneurial?

J’aurais deux conseils principaux: 

  • Le premier est de se lancer. Souvent les gens ont peur que ça ne fonctionne pas ou d’investir et de perdre de l’argent. Mais à mon avis, la plupart des idées peuvent être réduites à des produits très simples que l’on peut lancer sans apport ou très peu. Pas non plus besoin de quitter son job, on peut le faire sur son temps libre: le soir ou les week-end. Je suis parti d’un compte Instagram et de vêtements que je produisais moi même. Je n’avais rien à perdre, si je ne vendais pas mes vêtements, je les utilisais. De plus, même si on investit un peu d’argent, celui-ci n’est pas perdu. On apprends tellement, que ce n’est jamais de l’argent perdu, c’est de l’investissement. 
  • Le deuxième est de ne pas attendre d’avoir un produit parfait, ni d’être prêt à 100% avant de se lancer. Le produit se crée au fur et à mesure du développement, notamment avec les retours des premiers consommateurs. 
  • Quelle est l’origine du nom de ta marque, Lilla?

Je suis d’origine suédoise, et Lilla veut dire “petite” en Suédois. Ca fait aussi référence à l’anglais “little black dress” qui est la robe indémodable que l’on peut porter tout le temps. Cela correspond tout à fait à l’image durable que je veux donner à ma marque. Je veux qu’on puisse porter mes vêtements au quotidien et qu’ils ne subissent pas la mode. En effet, la plupart des vêtements ont un “petit truc en plus”, qui les rend à la mode mais lorsque ce “petit truc en plus” n’est plus à la mode, on ne les porte plus. C’est pour ça que j’essaie de les rendre neutres et intemporels.

  • Quelles sont les prochaines étapes pour Lilla?

Je vais bientôt rentrer en France d’où je vais continuer de piloter ma marque à distance. Cela implique plus de responsabilités pour ma partenaire birmane, et j’ai besoin d’être à 100% sûre que son travail sera fiable. Comme je l’expliquais tout à l’heure, le rapport au travail est différent: ainsi je la forme constamment pour la challenger sur sa rigueur. J’ai aussi d’autres projets pour la marque lié à mon retour en France, peut être produire en France, c’est encore en réflexion.

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