“En Argentine, il faut être très flexible et faire des concessions sur le business que l’on veut lancer. Il ne faut pas arriver ici avec une idée trop précise, car 99% du temps, rien ne se passe comme on l’a prévu et en découle toujours quelque chose de plus ou moins différent.

 

 Rencontre avec Jean, fondateur de la boulangerie MERCI

Jean est un trentenaire aux multiples vies ayant lancé une boulangerie dans un quartier plein de vie de Buenos Aires et également gérant d’un club de musique.

 

Comment en es-tu arrivé à gérer une boulangerie française en Argentine ?

“Arrivé en 2004 pour un échange universitaire à Buenos Aires, je suis tombé sous le charme de la ville. Revenu en France et passionné par les métiers du cinéma, j’ai travaillé durant quelques temps dans une boîte de production cinématographique à Paris.

Rapidement, je me suis rendu compte que ça ne me plaisait pas vraiment. J’ai eu une grosse désillusion lors de cette expérience, j’avais 25 ans et c’était mon premier boulot, je me suis retrouvé à faire en quelque sorte “le larbin”. Je n’imaginais pas du tout vivre comme ca. J’étais perdant !

Un jour j’ai rencontré un réalisateur péruvien et nous avons eu le projet de venir tourner des films publicitaires en Argentine. J’avais assez d’expérience dans le domaine, j’avais déjà produit deux courts-métrages et un documentaire. Je me suis dit que ça allait être facile car j’étais français. De plus, je me suis installé en Argentine quand le pays se re-construisait peu à peu après l’immense crise qu’il a subi à partir de 2001. Le pays était déstructuré et les opportunités étaient partout.

Après des débuts quelques peu difficiles, nous avons commencé à bien marcher, trop même ! C’était une période faste. Nous proposions à des marques françaises de venir tourner des films publicitaires en Argentine.

A partir de 2012, nous avons noté une baisse du business, l’Argentine devenait de moins en moins avantageuse économiquement pour tourner des publicités. D’un autre côté, ça ne m’intéressait plus beaucoup, c’est étrange à dire, mais je gagnais trop d’argent pour pas assez de travail ! C’était grisant… Je ne me sentais pas bien car ce secteur me paraissant de moins en moins sain et de plus en plus absurde. On dépensait des millions pour des pubs de shampoing de 30 secondes (Ndld: cela nous fait penser au personnage au fameux film 99 Francs).

Et là, je me suis posé une question fondamentale : Qu’est-ce-que je veux faire de ma vie ? Pourquoi je me réveille tous les matins ? Vers quel idéal ?

Je me suis lancé par pur hasard dans la boulangerie. Pour la petite histoire, j’avais prêté un peu d’argent à un ami pour qu’il lance sa boulangerie. Réalisant qu’il ne pourrait pas me rembourser de sitôt, je lui ai proposé de travailler pour moi. Voilà comment un Arménien s’est retrouvé à pétrir et faire cuire des baguettes dans mon salon pendant plusieurs semaines. Les ventes dans la rue fonctionnant étonnement bien, je me suis dit qu’il y avait une réelle opportunité à saisir, d’autant que le pain argentin n’est pas terrible.

Puis j’ai rencontré Antoine, mon associé, et nous avons alors décidé de lancer notre boulangerie française à Buenos Aires. On s’est installé dans le pire endroit d’un marché couvert. Nous avons ouvert la boulangerie en Décembre 2016 et le marché est rapidement devenu un pôle gastronomique de Buenos Aires car de nombreux restaurateurs m’ont suivi et ont installé leur petite boutique dans le marché. On se disait que plus on serait nombreux, plus ça fonctionnerait. Chez Merci, nous insistons au maximum sur la qualité des produits. Par exemple, nous sommes les seuls dans la capitale à confectionner des croissants pur beurre.

 

Qu’est ce que tu aurais pû faire autrement ?

Je pense que ma plus grosse erreur a été de largement sous-estimer le potentiel de cette boulangerie. Victime de mon succès, je suis régulièrement à court de marchandises et plus particulièrement les week-ends. Si j’avais su que ce serait aussi populaire une année après l’ouverture, j’aurais directement investi dans un local plus spacieux, et dans de meilleurs outils de fabrication.

Mon autre regret est de ne pas avoir installé ma boulangerie dans un coin de rue, ce qui aurait pu offrir une visibilité maximale à ma boutique.

 

Aurais-tu des conseils à apporter pour une personne voulant s’implanter en Argentine ?

“Tout d’abord, et c’est le cas un peu partout, il ne faut pas arriver avec une idée et vouloir se lancer directement. Il faut s’installer, trouver un petit boulot et observer l’environnement. Surtout à Buenos, il faut savoir prendre le temps car c’est une ville où tout est tellement informel. Il faut vraiment prendre la température du business local avant d’aborder le vif du sujet.

Ensuite, il faut être très flexible et faire des concessions sur le business qu’on veut lancer. Il ne faut pas arriver ici avec une idée trop précise car 99% du temps rien ne se passe comme on l’a prévu et en découle toujours quelque chose de plus ou moins différent. Ceux qui arrivent trop sûrs de leur concept sont souvent les premiers à refaire leurs valises.

Concernant les finances, il faut avoir un petit capital de départ permettant de vivre 6 mois minimum en cas de coup dur et de tenir jusqu’à que le business devienne rentable.

De plus, il ne faut pas toujours se fier à ce que les argentins laissent paraître dans les discussions, ils pensent souvent tout l’inverse… Un argentin ne vous contredira que rarement dans une discussion et dira oui sans pour autant le penser. Dans une relation professionnelle, il faut savoir mettre des barrières strictes dès le début et lâcher du mou par la suite.

En raison des crises cycliques qui touchent le pays, l’environnement du commerce est fragile et surtout très hostile. Les Argentins ont constamment l’impression de se faire avoir lorsqu’ils font des affaires. Par conséquent, il seront très difficiles en négociation et généralement très frileux pour investir. En tant qu’entrepreneur étranger, il est plus difficile pour moi de m’imposer dans les négociations. En effet, j’ai parfois l’impression que vu que je suis français les Argentins se permettent plus et se montrent plus difficiles en affaire.

Enfin, le retour sur investissement est beaucoup plus rapide qu’en France. En effet tu ne déclares pas tout ce que tu gagnes et loin de la. Dans tout business, il y a nécessairement une double comptabilité. Cependant, la partie déclarée au fisc doit être irréprochable et cohérente. Cette pratique est un avantage notoire à court-terme mais devient problématique à long-terme notamment lors de la vente de la structure.

 

Aurais-tu un livre à conseiller ?

“En Patagonie de Bruce Chatwin. On m’a offert ce livre lorsque je suis parti m’installer en Argentine, afin de lancer ma société de production. Ce livre m’a beaucoup inspiré et marqué, c’est un appel authentique à l’aventure, il est aussi tombé au moment opportun pour moi.

 

Merci beaucoup Jean !

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